Il y a quelques années, il était de bon ton de commencer sa carrière dans un cabinet de Conseil. Cela pouvait être dans un cabinet de conseil en stratégie, en organisation, un cabinet d’audit ou un cabinet faisant de la mise en place de systèmes d’informations. On se dirigeait vers les entreprises lorsque l’on avait suffisamment d’expérience dans un grand nombre de sociétés puis on se spécialisait dans un domaine particulier.
Depuis quelques années, un nouveau phénomène se produit et de plus en plus de personnes se lancent dans le monde du conseil en milieu de carrière.
C’est ce double thème que nous allons analyser.
Je reçois aujourd’hui Henri Tcheng, Vice Président du cabinet de conseil Bearing Point, responsable des secteurs Télécoms – Médias et Utilities en Europe.
Dans la première partie de notre émission, je souhaiterais que vous partagiez avec nous les parcours des consultants qui ont, à un moment donné de leur carrière décidé de rejoindre le monde de l’entreprise. Quels sont les retours d’expérience qui vous sont faits ?
Henri Tcheng : Il faut savoir que la majorité des jeunes diplômés considère le conseil comme une sorte de troisième ou quatrième cycle pour acquérir une première expérience professionnelle et pour pouvoir, par la suite, aller dans une entreprise et trouver un « vrai métier ». Aujourd’hui les jeunes diplômés sont nombreux à rejoindre des cabinets de conseil, généralement ou des cabinets en informatique, des cabinets d’audit, de conseil en management ou de stratégie. Au bout de quelques années d’expérience, ils vont partir en entreprise pour postuler à un poste auquel ils n’aient pas eu forcément accès après le même nombre d’années d’expérience en entreprise. Le cabinet de conseil est un tremplin de carrière et ce, peu importe si le consultant y a passé 2, 4 ou 15 ans.
Notre réseau d’ancien est un réseau de prescripteurs et après avoir été nos consultants, ils deviennent nos clients. Nous les suivons donc dans leur carrière qui sont souvent de très belles carrières de décideurs.
Le système n’a donc pas fondamentalement changé, nous avons encore beaucoup de jeunes à potentiel qui ont envie de s’aguerrir et d’acquérir de l’expérience en rejoignant le monde du conseil.
MG : Pour autant la transition du monde du conseil au monde de l’entreprise n’est pas toujours aisée. Comment cela se passe-t-il pour vos anciens consultants ?
HT : Le plus facile pour nos consultants consiste à se rendre chez leurs clients. C’est d’ailleurs la majorité des départs que nous avons. Nos consultants sont en effet toujours en contact avec les clients, découvrent leur culture d’entreprise et pour nos clients cela représente la meilleure période d’essai qu’il puisse exister car ils peuvent ainsi tester le consultant dans des conditions de contrainte de durée, de pression…. Nous avons un taux d’échec quasiment nul dans ce cas de figure.
En revanche, ceux qui partent pour une entreprise qu’ils ne connaissent pas peuvent, bien évidemment, rencontrer un échec ou des difficultés d’intégration.
L’avantage du consultant par rapport au salarié est qu’il a appris à découvrir l’environnement extérieur et il a développé une capacité d’adaptation à tous les contextes.
MG : Quelles sont les raisons qui, au bout d’un certain nombre d’années, font qu’ils ont envie de changer et de quitter cet environnement ?
HT : Cela fait partie de l’économie du cabinet de conseil. Chez Bearing Point, nous recrutons 200/250 jeunes diplômés et l’on promeut 2 ou 3 associés. 99 % des consultants nous aurons donc quitté, ce qui est tout à fait normal. D’autre part, c’est sans compter avec les nouvelles générations qui se veulent entrepreneurs et créent des startups
MG : Ce départ pour les startups constitue-t-il un phénomène récent ?
HT : Il y a eu une grande vague entre 2000 et 2002 au moment de la première bulle Internet et une deuxième vague depuis 3-4 ans avec des créations de startups dès la sortie du cabinet de conseil.
MG : Les sociétés que vous conseillez n’ont rien de la taille d’une startup. Comment se passe la transition du conseil pour une grosse entreprise à une toute petite ?
HT : Bien dans la plupart des cas car en tant que consultant nous avons une grande liberté d’action et de manœuvre. Contrairement aux grandes structures où il y a des barrières, dans une startup il n’y a aucune limitation. Le consultant se déploie donc très bien dans ce périmètre.
MG : Avez-vous des cas de personnes qui reviennent quelques années plus tard dans votre cabinet de conseil ?
HT : Oui, tout à fait. Nous essayons de ne pas avoir de discours d’échec afin de ne pas blesser l’amour propre du consultant.
Beaucoup reviennent vers nous. Soit ils étaient partis pour la concurrence ou pour des postes opérationnels et se disent que finalement ils étaient très bien chez Bearing Point.
Aujourd’hui, un tiers de notre recrutement se fait avec des personnes ayant déjà une expérience professionnelle de 3 à 10 ans.
MG : Quels sont les critères que vous observez quand vous recrutez quelqu’un qui vient de l’extérieur avec une expérience professionnelle préalable?
HT : Le premier critère sera la facilité d’intégration. Il faut que l’on sente que la personne va pouvoir s’acclimater à notre culture d’entreprise qui est faite de communication directe, d’obsession sur la qualité du service rendu au client et d’une saine pression mise sur les épaules de nos équipes pour développer notre business. Il faut avoir une vocation commerciale.
MG : Donc c’est un mélange de technicité, de commercial et de savoir-être ?
HT : Absolument, sachant que la technicité dépend aussi du niveau d’expertise que peuvent avoir nos candidats. Certains sont spécialisés dans un type de mission comme le marketing, le digital et d’autres sont spécialisés dans un secteur d’activité type télécom, banques… Notre organisation en interne est faite autour de ces deux dimensions.
MG : Au bout de combien de temps savez-vous qu’une intégration est réussie ? Est-ce-que cela dépend du niveau d’expérience de la personne que vous recrutez ?
HT : Il n’y a pas de réponse simple à cette question. Le droit du travail nous impose une période d’essai de 7 mois. Cela est parfois insuffisant pour avoir une mise en perspective du succès notamment commercial. On se donne généralement 2 ans pour savoir si l’intégration est réussie.
MG : Cela permet aussi à personne de voir si elle se sent bien chez vous. Cela joue donc dans les deux sens ?
HT : Pour que l’intégration des personnes ayant déjà 10 à 15 ans soit un succès, il faut que leur métier de base soit d’être consultant. S’ils n’ont jamais fait de conseil en arrivant à 45 ans, le taux d’échec est très élevé, environ 50%.
MG : Est-ce le cas même si les personnes étaient dans des structures ou des postions en interne qui pouvaient ressemblaient à une position de conseil ?
HT : Oui, car si les gens sont expérimentés dans le conseil, ils ont une responsabilité commerciale très importante. Si ils ont été dans des fonctions de conseil interne, celui-ci s’achetait mais ne se vendait pas. Or quand on est consultant en externe, il faut vendre.
Nous avons donc un processus de compagnonnage pour les personnes expérimentées parce qu’une des problématique des grands cabinets de conseil est de considérer que quelqu’un qui a un grade de manageur ou de directeur associé est dans notre cabinet depuis 5, 10 ou 15 ans alors qu’en réalité il n’est là que depuis quelques jours.
MG : Les personnes avec 10 ou 15 ans d’expérience et qui vous rejoignent se retrouvent-elles immédiatement dans des positions d’encadrement d’équipe de personnes a priori plus expérimentées qu’elles en conseil ?
HT : Ces personnes ont généralement fait beaucoup plus d’encadrement d’équipe que nos consultants du même grade. La reconnaissance de cette capacité de management pose donc peu de difficultés.
MG : Vous arrive-t-il de faire travailler des gens en sous-traitance ? Est-ce une condition préalable à une intégration ?
HT : Cela a évolué au cours du temps. Dans les années 90 et 2000, les cabinets ne faisaient pas appel à des freelances car la qualité de la prestation n’était pas garantie. Aujourd’hui, nous avons besoin d’avoir ressources à coût variable. On a donc stratégiquement besoin de faire appel à des freelances qui ont, en plus, une expertise dont nous avons besoin.
MG : Quel conseil donneriez-vous aux personnes se disant, après avoir été licenciées ou ne souhaitant plus de structure « Je vais rentrer dans un cabinet de conseil » ou « Je vais moi-même faire du conseil »
HT : Il faut d’abord se poser la question de la valeur de son carnet d’adresse. Beaucoup de freelances connaissant une première période dorée et au bout de quelques temps le carnet d’adresse ne fonctionne plus. Il y a donc un risque d’asséchement du business. Il faut être capable de travailler dans un réseau de freelances qui peut palier la faiblesse du carnet d’adresse du consultant.
Il y a également l’appauvrissement en terme de compétences. Quand on est dans une grande entreprise ou dans un cabinet, on se forme aux dernières technologies. Quand vous êtes freelance, il y a donc un risque de stagnation des vos compétences car vous ne vous formez pas et délivrez des prestations que vous savez faire via votre expérience passée.
MG : Des personnes qui ont eu une expérience en entreprise, qui décident de se mettre à leur compte et qui au bout de 18 mois, 2 ans se rendent compte que cette situation est trop difficile, sont-ils plus employables par un cabinet de conseil ?
HT : Nous avons des expériences avec des indépendants qui nous amènent du business et qui sont capables de vendre des projets qu’ils ne peuvent pas délivrer tout seul. Ils sont entrés dans une démarche commerciale et peuvent valoriser leur carnet d’adresse. Nous sommes alors dans un cercle vertueux qui peut conduire à leur intégration chez nous.
Cependant cela est assez rare.
MG : Quelle est la différence entre se vendre soi-même et vendre un cabinet ?
HT : La posture commerciale est différente : au lieu de vendre ce que je sais faire, on convainc le client qu’on a la compétence d’apporter une réponse à son besoin avec les équipes du cabinet.
MG : Quels sont conseils que vous donneriez aux personnes de 45 ans travaillant dans un cabinet de conseil et souhaitant intégrer une entreprise. Quelles sont les choses à faire et les choses sur lesquelles il faudrait porter son attention avant de prendre une quelconque décision ?
HT : Faire un bilan de compétence peut être une solution. Pour nos consultants dont on pense qu’ils ne seront pas associés nous proposons un bilan de compétence et nous avons des prestataires qui font de l’outplacement pour accompagner dans la recherche d’emploi des personnes qui partiront en opérationnel. Nous avons de nombreux exemples d’outplacement réussi, où le consultant a trouvé un emploi avant même de quitter notre cabinet.
MG : Et à quelqu’un qui voudrait quitter le monde de l’entreprise pour se lancer dans le conseil, vous leur diriez de faire attention ou d’y aller ?
HT : Je leur dirai de faire attention sur le niveau d’exigence qu’a le cabinet concernant la performance commerciale. On a beaucoup d’expériences chez certains de nos confrères où le taux de rejet de personnes expérimentées mais n’ayant jamais fait de conseil est très important. Ils n’hésitent pas à recruter beaucoup plus que leurs besoins quitte à filtrer ensuite.