Mes invités sont Jean-Pierre Robin, responsable île de France du CRA (Cédants et Repreneurs d’affaires) la plus grande association en France d’accompagnement de personnes à la reprise d’entreprise et Grégoire Cabri-Wiltzer, repreneur de la société de management de transition Nim Europe, un repreneur que je pense pouvoir qualifier de très heureux.
Le sujet de la chronique sera « la reprise d’entreprise, un rêve devenu réalité ». Le but est de démystifier la reprise d’entreprise en France, de comprendre mieux ce secteur, ses intervenants et de fournir des pistes de réflexion.
Jean-Pierre Robin et Grégoire Cabri-Wiltzer, merci de vous prêter à cette interview croisée. Je vais vous demander de vous présenter afin de comprendre les organisations dans lesquelles vous travaillez et à quel titre vous intervenez aujourd’hui.
JP : Le CRA est une association créée il y a 30 ans pour faciliter la transmission des petites entreprises. Nous accompagnons actuellement 1500 repreneurs et 600 cédants. Nous faisons en sorte que les bons repreneurs puissent être des boosters pour les bonnes entreprises. Et, cela ne marche pas mal. Cela fait 8 ans que je suis dans cette association et j’ai personnellement accompagné 300 repreneurs et cédants.
GCW : Bonjour, Je dirige Nim Europe qui est une société de management de transition que j’ai reprise il y a plus de 3 ans. En quelques mots, notre métier est d’aider des entreprises qui ont des besoins ponctuels de cadres dirigeants expérimentés. Je suis là pour témoigner de mon expérience de reprise d’entreprise.
MG : Ma première question s’adresse à vous deux. Comment évolue aujourd’hui le marché de la reprise d’entreprise ?
JP : Le marché semble gigantesque. OSEO annonce 230 000 entreprises de 5 à 100 salariés. C’est la cible intéressante pour les repreneurs. Mais La réalité est nettement plus étroite. Bien sûr, Il y a 230 000 entreprises susceptibles d’être transmises. Mais les responsables tiennent bien leur barre. Et ils transmettent environ tous les 15 ans. Les entreprises susceptibles d’être transmises sont plutôt au nombre de 15 000. Mais parmi ces transmissions, il y a des cessions entre filiales, des cessions internes (au personnel ou à la famille) et un certains nombres de disparition d’entreprise (25% de l’ensemble). Il reste 6500 entreprises réellement transmissibles à des acteurs extérieurs selon OSEO. C’est une petite part du gâteau. C’est la raison pour laquelle si on veut reprendre une entreprise, il faut être meilleur que les autres.
GCW : En tant que repreneur, j’ai regardé environ 20 dossiers que j’ai analysés. Mais pour moi, le dossier n’est pas quantitatif mais qualitatif. Pour reprendre une entreprise, ce qui compte c’est de trouver la bonne et celle qui vous correspond. Je trouve qu’il est difficile d’analyser de manière statistique
MG : Comment ce marché s’est-il comporté depuis la crise de 2009 ? Quel a été l’impact de cette crise ?
JP : La crise de 2008, 2009, 2010 a fait rétrécir le marché à cause des défaillances d’entreprises. Les cédants, en outre, ont été prudents. Au niveau fiscal, on ne savait pas ce qui allait se passer. Les choses étaient gelées. Il y a eu beaucoup de coups de freins. Pour ce qui concerne notre association, heureusement, les transactions ont continué et se maintiennent à un niveau correct.
MG : Y a-t-il eu un impact sur le prix de valorisation des entreprises ?
JP : Certains chefs d’entreprise mal conseillés par des experts comptables ont rêvé et n’ont pas adapté leur valorisation aux données du marché. Dans ce cas, le marché reprend ses droits. La valorisation des entreprises est toujours fondée sur la capacité de l’entreprise à donner au repreneur un salaire correct, à faire face au remboursement des prêts de 7 ans et à conserver sa capacité d’investissement. Là, ce n’est pas une histoire d’amour. C’est quelque chose de comptable. Le prix du marché peut se résumer à la capacité de l’entreprise à satisfaire les critères que les banques imposeront pour faire des prêts.
MG : Grégoire, vous souhaitiez, me semble-t-il, rebondir sur cette question concernant l’état du marché depuis la crise de 2009.
GCW : On a une demande grandissante de gens à la recherche d’entreprise. Beaucoup de cadres dirigeants des grands groupes en ont marre des conflits politiques, souhaitent être plus opérationnels et s’orientent vers la reprise. Mais, sur le prix, je suis d’accord avec Jean-Pierre. Il y a des standards économiques. On achète X fois l’EBIT ou le résultat. Et cela très conformément à ce que le CRA m’avait indiqué. Le CRA est une excellente formation.
MG : Maintenant que nous avons circonscrit ce secteur, pouvez-vous me dire quels sont les profils de personnes que vous voyez arriver sur le marché de la reprise ?
JP : Comme le disait Grégoire, beaucoup de dirigeants de grands groupes se tournent vers la reprise d’entreprise espérant une carrière qui comble leurs appétences et leurs compétences. Et par conséquent, la qualification des demandeurs a aussi augmenté. J’ai accompagné des HEC, des X, Harvard qui étaient fiers d’avoir fait la formation CRA et avaient oublié ce qu’ils avaient fait avant. Le marché les oblige à commencer par des entités de taille modeste. Mais, celui qui reprend à 45 ans a 20-25 ans devant lui d’une magnifique carrière. 45 ans, c’est la moyenne d’âge des repreneurs. Sa carrière doit permettre de la croissance organique et en plus de la croissance externe. Et, je le vois tous les jours, quelqu’un qui fera sa première reprise à 45 ans, reprendra au moins 3 entreprises en moyenne.
MG : Est-ce qu’il y a une corrélation entre le diplôme et le succès d’entreprise ? Y a-t-il certains profils pour lesquels vous déconseilleriez une reprise ?
GCW : C’est surtout l’expérience qui compte et permet d’être aguerri. On utilise tout ce qu’on a appris. Sur le plan de la formation, reprendre une entreprise, c’est technique. Et, là l’expérience aussi est utile.
Vous me demandez à qui déconseiller ? Je vais répondre de manière inversée, je dirais qu’il faut avoir les reins solides et le cœur bien accroché. Il faut ne pas avoir peur, être passionné, aguerri, technique et construit.
JP : Il n’y a pas de corrélation directe entre le niveau de diplôme et le succès de la reprise. Il faut avoir du caractère pour être chef d’entreprise. Et j’ai vu beaucoup de n°2 de grands groupes être incapables de reprendre une entreprise et même de gérer une petite entité. Je déconseille complètement à ceux qui n’ont pas la fibre commerciale et/ou l’expérience commerciale. Un chef d’entreprise doit avoir un rêve, une vision et savoir la communiquer clairement à son personnel, ses clients et aux fournisseurs.
MG : Avez-vous des exemples de réussite éclatante ? Qu’est ce qui fait que cela a particulièrement bien marché ?
GCW : L’aspect commercial, comme le dit Jean-Pierre, est clef dans la reprise d’entreprise. Quand on achète, on achète un résultat. Et le multiplicateur ne viendra que du développement commercial. Mais, il faut savoir accepter et profiter d’une phase de consolidation qui peut être de 2-3 ans. Donc il y a une chose à ne pas faire, c’est de tout casser. Il y a une phase de compréhension, de consolidation et de construction.
JP : Je voudrais dire que reprendre ou créer une entreprise, ce n’est pas différent. C’est toujours entreprendre. Et ce qui me frappe, c’est que les repreneurs partent d’une base solide et une vision pour en faire quelque chose. Mais, la plupart de ceux que j’ai accompagnés, pensaient pouvoir développer et construire relativement rapidement. Or je suis d’accord avec Grégoire. Il faut du temps pour analyser sans révolution et préparer une évolution positive.
MG : Qu’est-ce qui vous permet de valider une adéquation homme-projet ? Ou pour Grégoire plus spécifiquement, parmi tous les dossiers vus, qu’est ce qui a fait que là vous vous êtes dit, là j’y vais et je vais réussir ?
GCW : D’abord j’y suis allé car je pensais que j’allais réussir. Sans cette conviction dans son for intérieur, il ne faut pas y aller. Je savais que j’allais évoluer vers les RH et le conseil. Cette entreprise correspondait à mes valeurs. Et, elle me permet aujourd’hui de faire un métier que j’aime. Donc, je ne suis pas en décalage intellectuel et moral. Pour moi, ce n’est pas une affaire financière de reprendre une entreprise. C’est faire ce que j’avais envie de faire.
JP : Pour ma part, j’ai un bon exemple. J’ai accompagné Daniel Porte qui avait conduit sa carrière dans l’univers du luxe. Lors du cadrage-ciblage, Il a choisi d’utiliser son appétence pour les produits hauts de gamme et ses compétences puisqu’il avait été directeur marketing. Mais, c’est le patron cédant des chaussettes Monnet qui a décidé qu’il était prêt à cette évolution de produits techniques à des produits haut de gamme et sexy. Daniel Porte a continué cette idée. C’est un développement qui correspond à ses compétences. Aujourd’hui, il est référencé par les fédérations de ski Alpin et il se développe de façon formidable.