D’après une étude 2019 de l’Observatoire de l’ESS, le secteur de l’économie sociale et solidaire compte 2, 3 millions de salariés. Il représente 1 emploi sur 8 du secteur privé et équivaut en nombre à la fonction publique d’État. 87 % des entités ont moins de 20 salariés. L’ESS est forte de 22 millions de bénévoles et représente 10 % du PIB.

Interview de Jean-Philippe Teboul, Directeur Général d’Orientation Durable par Isabelle Fiévet-Rossignol, Coach chez Group’3C 

Orientation Durable – recruter dans l’ESS

Le marché de l’emploi dans l’ESS est-il attractif ?  

« Quasiment tout cadre dans le milieu de sa carrière est confronté à une quête de sens. Si bien que sur certains postes chez les grands acteurs de l’ESS, nous avons jusqu’à 800 candidatures pour les cas exceptionnels. Mais le plus souvent 80 à150 candidats dont une bonne moitié sont des cadres du secteur privé. Or, la plupart ne vont pas être éligibles sur ces postes, car ce désir d’intégrer l’ESS correspond plus à des préoccupations d’un moment de leur existence qu’à une vraie volonté de transition professionnelle. Ils ont un mal-être professionnel, et idéalisent l’ESS, en terme d’ambiance, de simplicité des process, de clarté des missions, ils ont le fantasme que là, ils pourront changer le monde, résoudre des problèmes sociétaux, dans des organisations simples, cohérentes, transparentes, bienveillantes…

Mais, ils se heurtent vite au décalage de salaire : à poste équivalent, le salaire diffère souvent du simple au double entre l’ESS et le secteur privé. Enfin, ils ne se rendent pas forcément compte que les structures de l’ESS ont des raisons d’être, une éthique très fortes qui vont impacter la plupart des décisions, et que cela peut avoir des conséquences importantes sur leur travail au quotidien et y amener de la complexité. Il y a bien sûr des exceptions, qui sont les candidats que nos clients souhaitent trouver. »

Le marché a-t-il changé avec la crise de la COVID et le dérèglement climatique ? 

« Cela a modifié énormément de choses. Comme dans le secteur privé, nous sommes impactés par le phénomène de « la grande démission » : sur certains postes, on observe une baisse du nombre de candidats de 60 % et un doublement, voire un triplement des demandes de missions de la part de nos clients. C’est très impressionnant et particulièrement vrai pour les postes à bas salaires..

Les professionnels ne comprennent pas encore vraiment ce qui se passe. On a l’impression que les candidats deviennent exigeants sur la cohérence entre la communication et la réalité de l’institution : que ce que dit la structure doit vraiment correspondre à qui elle est. L’équilibre vie pro/vie perso est aussi devenu prioritaire, alors que les attentes en termes de salaire ne changent pas. »

Qu’en est-il du besoin de cadres et de la professionnalisation ? 

« Il y a un besoin de cadres dans les 15-20 ans. Il y a un gros décalage entre la signification du mot professionnalisation entre les recruteurs et les candidats. Pour la plupart des candidats, Professionnalisation veut dire culture du résultat. Pour les recruteurs, c’est plus complexe : ils recherchent des personnes avec cette culture du résultat et également capables de l’appliquer à une vision systémique des actions des structures de l’ESS. »

Les candidats sont-ils conscients des spécificités du management des bénévoles ?

« Très peu de candidats prennent en compte la complexité du management d’équipes avec des bénévoles. Dans certaines structures, l’épanouissement du bénévole est une mission en soi,par exemple dans l’éducation populaire. Dans d’autres structures, les prises de décisions sont le fait de duos de salariés/bénévoles. Par ailleurs, selon les structures, il y a une grosse différence de la culture du travail, par exemple, si le fait spirituel n’intéresse pas le candidat, ce sera vite difficile pour lui de travailler avec des bénévoles qui sont là pour cette raison. »

Quels sont les profils les plus recherchés ? 

« Pour les postes transversaux, on cherche des personnes qui ont une culture hybride : vision systémique et sociétale et culture du résultat. Sinon, on cherche beaucoup de DAF, RAF, Développeurs, Fundraisers digitaux et Responsables du Plaidoyer, et aussi des DG. »

La quête de sens est-elle une bonne motivation pour aller vers l’ESS ? 

« La quête d’un sens liée à un combat précis est une base, mais c’est le choix du métier qui doit guider la recherche. Certains postes nécessitent un grand sens de l’engagement, ceux qui sont au contact direct des bénéficiaires, il faut même parfois avoir une vocation spécifique (par exemple, pour les travailleurs sociaux). Les postes avec de multiples contacts en interne demandent aussi un fort engagement, parce que l’intégration la culture de la structure est alors primordiale pour bien communiquer. »

Le marché du travail de l’ESS est-il en partie caché ?

« C’est un marché très peu caché, sauf pour les fondations. Et d’ailleurs, nous faisons très peu de chasse. »

Y a-t-il des profils de candidats plus attirés par ce secteur ? 

« Il y a 4 profils-types très visibles sur ce marché : personne ayant 6/7 ans d’expérience en agence de communication, cadre à 5/10 ans de la retraite, jeune diplômé de haut niveau peu dogmatique et curieux, Directeur de cabinet de la Fonction Publique, ou Assistant Parlementaire. Je conclue en disant que nombre de postes sont passionnants justement parce que la culture du résultat ou de l’efficacité ne suffit pas pour y réussir. Ils nécessitent de prendre en compte l’impact global et d’avoir une vision, qui manque souvent dans le secteur privé.»